Loi sur les animaux : le gouvernement ferait preuve de “laxisme”

Par François G. Cellier

12 juillet 2018 — Après avoir essuyé des critiques très sévères exprimées par la SPCA de Montréal, la semaine dernière, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) a réagi et accordé une entrevue à Réalité Animale.

Daniel Tremblay, directeur général de l’inspection et du bien-être animal au MAPAQ, en a profité pour mettre les pendules à l’heure.Qu’à cela ne tienne, la SPCA de Montréal persiste et signe: le MAPAQ est “extrêmement laxiste” dans l’application de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal, en plus d’avoir brisé ses promesses. Deux accusations que le MAPAQ repousse du revers de la main, estimant qu’elles ne sont pas fondées et nécessitent un recadrage. Dans cet article, nous présentons la version d’Alanna Devine, avocate et directrice de la défense des animaux à la SPCA de Montréal, qui fait contrepoids à celle du MAPAQ que nous avons mise en ligne précédemment.

Plusieurs saisies refusées?

L’un des reproches adressés au MAPAQ voudrait que ce dernier refuse (fréquemment) aux inspecteurs et inspectrices la permission de sortir les animaux d’endroits où ils sont maltraités, même lorsque les infractions à la loi sont claires. Là-dessus, Daniel Tremblay a notamment répondu : « Ce n’est pas parce que vous excédez la limite de vitesse permise, en voiture, que l’on saisit systématiquement votre véhicule. C’est un peu la même chose avec les animaux. En cours d’inspection sur un site, on ne décide pas nécessairement de sortir tous ceux qui s’y trouvent. »

Sur cette question, Alanna Devine répond que « Les animaux ne sont pas des voitures, mais bien des êtres doués de sensibilité avec des impératifs biologiques, selon l’article 898.1 du Code civil du Québec.» Pour le reste, la SPCA de Montréal affirme ne pas exiger des saisies systématiques.

« Il reste que nous avons constaté, dans certains dossiers, que des animaux se trouvaient dans des conditions déplorables. Les personnes qui en avaient la responsabilité ont reçu des avis répétés, sans pour autant que la condition et la sécurité des animaux concernés ne s’améliorent. Malgré plusieurs demandes adressées au MAPAQ pour faire des saisies, ce dernier les a refusées, ce qui a donné lieu à des situations très frustrantes », souligne Alanna Devine.

Des pratiques pas toujours « impeccables »

Au MAPAQ, on explique que les responsables d’animaux ne préconisent pas tous des pratiques « impeccables », mais que les infractions commises doivent être corrigées dans les plus brefs délais. Des cages rouillées ou comportant un surplus d’animaux exigent que des mesures soient prises, mais ne veulent pas nécessairement dire qu’il faut procéder à une saisie. Question : est-ce que ces infractions méritent une deuxième chance?

« Tout dépend de la situation. Je signale que dans plusieurs cas, je crois, on a donné une dizaine de chances. À un certain moment, il faut appliquer la loi. Un animal maintenu en permanence dans une cage à des fins de reproduction n’est pas acceptable, tant sur le plan législatif que du point de vue de l’opinion publique.

De la parole aux actes

Après huit visites et avis donnés, ce qui, à mon sens, est un gaspillage d’argent, les animaux qui demeurent en cage en permanence développent des problèmes de santé. Je pense qu’il vient un temps où il y a des obligations d’ordre juridique, éthique et moral, et qu’il faut retirer les animaux d’un endroit donné. Je peux vous dire que dans plusieurs situations, le public serait outré d’apprendre qu’après plusieurs chances accordées à des gardiens d’animaux, ces derniers vivent encore dans des situations non conformes à la loi », affirme Alanna Devine.

Lorsqu’une personne acquiert un animal chez un éleveur qui détient un permis en règle, elle s’attend à ce qu’il ait été pris en charge dans des conditions adéquates. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas, dit-on. Là-dessus, le MAPAQ rappelle qu’en 2017, il a mené 2 000 inspections et procédé à 70 récupérations d’animaux sur divers sites, dont 39 ont été réalisées par des SPA et des SPCA avec son assentiment. La SPCA de Montréal admet que le gouvernement l’a autorisée à effectuer des saisies, mais pas en nombre suffisant.

Partenariats rompus?

Une autre doléance formulée par la SPCA de Montréal touche les partenariats entre les SPA/SPCA, et le MAPAQ, qui sont arrivés à échéance le 31 mars 2018. Ces ententes visent l’application de la loi sur les animaux, mais leur renouvellement se fait toujours attendre.

Le MAPAQ dit vouloir travailler en « complémentarité » avec ces organismes, mais aussi en « respect des missions de chacun », pour qu’au final, il en ressorte un objectif commun. « Si tout le monde fait la même la chose, il y a des énergies qui se perdent », affirme Daniel Tremblay.

« Dans toutes les autres provinces canadiennes, ce sont les SPA et les SPCA qui appliquent la loi provinciale sur les animaux. Je précise que nous appliquons la loi municipale et le Code criminel, ce qui fait que nous gérons déjà plusieurs dossiers. C’est comme si il y avait un dédoublement de travail, car il revient au MAPAQ d’appliquer la loi provinciale. Or, on constate que dans certains dossiers, pour lesquels ce ministère est le seul impliqué, les saisies d’animaux ne se font pas, alors qu’elles devraient avoir lieu », croit Alanna Devine.

Des ententes insatisfaisantes

Bien que le MAPAQ compte renouveler les ententes précitées, pour au moins une autre année, leurs modalités sont jugées insatisfaisantes par la SPCA de Montréal. « Nous négocions avec le MAPAQ depuis deux ans et demi. On ne peut plus continuer à travailler de cette façon-là, notamment au chapitre des saisies. Le contenu de notre dernier communiqué de presse résume notre position, que nous exposons au gouvernement depuis quatre ans », détaille Alanna Devine. Depuis l’échéance des ententes, la SPCA de Montréal dit avoir transmis environ 200 dossiers critiques au MAPAQ. Ils concernent plusieurs atteintes au bien-être animal.

Au chapitre des « usines à chiots », une appellation qui ne figure pas dans la réglementation provinciale, qui attribue plutôt cette catégorie aux éleveurs qui possèdent plus de 15 ou 50 chiens ou chats, la SPCA de Montréal est d’avis que dans ces endroits, le profit est plus important que le bien-être animal. « Je peux vous confirmer qu’il existe des lieux où des infractions sont commises à tous les articles de la loi. Malgré tout, des permis sont délivrés », explique Alanna Devine.

Un permis n’est pas une garantie

Au MAPAQ, on précise que l’octroi d’un permis n’est pas garant de pratiques exemplaires. Il faut faire des inspections sur site pour s’assurer que la loi est respectée. Quoi qu’il en soit, estime la SPCA de Montréal, la nouvelle législation sur les animaux, qui est excellente en théorie, ne doit pas juste être un outil “éducatif”. « On regarde les modèles appliqués dans d’autres provinces, qui semblent fonctionner beaucoup mieux que le nôtre, et où les SPA et les SPCA sont très impliquées dans l’application de la loi. Et pour toutes les espèces animales », précise Alanna Devine. Pas seulement les chiens et les chats.

Cela dit, l’adoption du projet de loi 54 est récente. Peut-on imaginer qu’avec le temps, les choses iront en s’améliorant? « Je pense que deux ans et demi, c’est déjà suffisant pour appliquer la loi adéquatement. Ce n’est pas seulement une question de temps, selon moi, mais un problème d’attitude laxiste constatée au gouvernement. En tant que juriste, j’estime que la loi telle qu’elle a été rédigée est très bonne. Elle devrait donc mieux protéger les animaux. Au départ, la façon de l’appliquer était très intéressante. Mais par la suite, il y a eu un changement de culture au MAPAQ. Actuellement, on constate, sur le terrain, que les animaux sont moins bien protégés qu’avant l’adoption du projet de loi 54. Chose certaine, la SPCA compte manifester sa présence lors des prochaines élections provinciales, qui sont prévues cet automne. Nous demanderons aux différents partis politiques d’agir, afin que la loi de 2015 sur les animaux soit mieux appliquée », conclut Alanna Devine.

Photo: Alanna Devine (Courtoisie SPCA de Montréal)

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